dimanche 5 septembre 2010

Le bel indifférent, au théâtre Montmartre Galabru

Le bel indifférent est l’une des plus belles pièces de Jean Cocteau, écrite à l’origine pour Edith Piaf. Jouée en première représentation avec Paul Meurisse en février 1940, elle fut sous-titrée au départ « trois chansons parlées » ce qui souligne l’aspect musical de l’œuvre, le personnage principal, une chanteuse, y effectuant comme une sorte de complainte muée en balade, nostalgique et désenchantée, sur la solitude amoureuse. Cette tragédie de l’attente de l’autre est aussi celle d’une femme qui, face au silence de son amant, exprime son amour fou. Chaque minute qui passe laissant sans réponse ses questionnements, tel Werther après que Charlotte lui ait défendu sa porte, elle semble dans sa fragilité ne plus pouvoir faire autrement que subir une indifférence qui va se transformer en impitoyable cruauté.

Ségolène Point et Christian Baltauss 
durant les répétitions du Bel indifférent

À une époque où la femme revendique son droit à la différence et arbore son statut d’indépendance, on objectera que la chanteuse du bel indifférent appartient à une époque bien révolue. Mais c’est méconnaître le mécanisme des sentiments amoureux sur lequel le temps ne peut avoir d’emprise. Et c’est tout l’intérêt de la mise en scène de Christian Baltauss qui, en contrepoint avec la période actuelle où plus personne ne semble vouloir prendre le risque d’aimer tant « il est difficile d’aimer » comme nous le rappelle Rilke, n’hésite pas à nous montrer la fièvre brûlante qui s’empare de l’héroïne de Cocteau, remarquablement interprétée par Ségolène Point. Sortant de la tradition de la pièce par une approche originale et créative qui explore à des niveaux plus complexes encore l’âme féminine, la jeune actrice nous entraîne avec finesse et sensibilité au cœur des tourments de la passion, jouant d’inventivité. Son jeu réussit avec une précision très cinématographique à traduire les cheminements intérieurs d’une femme tentant désespérément de se délester de ses chaînes, en proie à une souffrance d’aimer qui la conduit progressivement dans une impasse.

À travers la mise en abîme de son personnage féminin qui donne la parole au non-dit, cette tragédie de l’attachement impossible et de la solitude, tout en étant conforme par le décor et les costumes au contexte d’avant-guerre, demeure résolument moderne.


Le bel indifférent de Jean Cocteau
Mise en scène : Christian Baltauss
Avec : Ségolène Point et en alternance Francis Ressort, Christophe Switzer
Du 1 au 30 septembre 2010 à 21 heures 30
Théâtre Montmartre Galabru
4, rue de l'armée d'Orient 75018 Paris

samedi 10 avril 2010

Woody Allen et Ingmar Bergman



Il y a une histoire sur Ingmar Bergman et Woody Allen que j'adore. Woody Allen et Bergman étaient très admiratifs l'un de l'autre. Les deux hommes n'ayant jamais osé s'approcher, leurs épouses d'alors, Liv Ullmann et Mia Farrow, très amies, décidèrent d'organiser un soir une rencontre à dîner chez le couple Allen-Farrow à New-York. L'épisode fut savoureux. Pendant que les deux femmes allaient et venaient en préparant le repas, Bergman et Allen qui n'avaient pas prononcé un mot, échangeaient des regards et des sourires complices sur le va-et-vient de leurs épouses. Et le dîner passa sans qu'aucun des deux cinéastes n'échangent une seule parole. Après le départ de Bergman et de Liv Ullman, Mia Farrow demanda à son mari ce qu'il avait pensé de cette soirée. Et Woody Allen répondit : « C'était génial »

mardi 23 février 2010

L’aube du monde

Le récit, simple, est d’une très grande richesse. L’auteur Abbas Fahdel, qui signe ici son premier long métrage, réussit à aborder nombre de thèmes fondamentaux sur une durée aussi courte, à peine 90 minutes, dans un langage cinématographique parfaitement maîtrisé. Le rythme, lent, paisible, rend bien compte de la vie de cette communauté dans ce marais en opposition avec la violence du régime de Saddam Hussein, la guerre qui se trouve à l’extérieur, mais dont on ressent chaque soubresaut sur les visages, sur ces personnages déchirés et déchirants. Avec un budget réduit, il parvient comme un maître - on pense à Fuller, notamment dans le mouvement de grue final - à rendre compte de ces évènements que je suppose, tout ou en partie, autobiographiques. Il y a des idées fantastiques, en particulier du point de vue des décors comme celle de la carcasse d’avion plantée dans les marais. Le film est un magnifique témoignage de ce pays anéanti qu’est l’Irak, berceau de la civilisation. D’ailleurs je me suis demandé si le titre n’y faisait pas référence. Ce pays « des deux fleuves » a été en quelque sorte l’aube du monde… puisque l’écriture y est née.


Hiam Abbass, Hafsia Herzi et Karim Saleh dans
 L’aube du monde de Abbas Fahdel

Beaucoup de sensibilité également dans la mise en scène, très inspirée du cinéma japonais… les gestes, les regards, les cadrages. Superbe lumière aussi. La transmission de cette histoire d’amour à travers le jeune soldat disparu est une bien belle idée de cinéma. La dictature a anéanti tout un pays, mais en même temps l’espoir et la notion de famille continuent à travers la fin, très positive. On aurait pu justement s’attendre à encore plus de douleur avec un tel récit, et le film ouvre une porte vers l'avenir… même si l’on sait que les choses ont continué de se disloquer après la disparition de Saddam. Un dialogue a retenu toute mon attention « Dieu aime ceux qui meurent jeunes » C’est une phrase très troublante et mystérieuse, elle rend hommage à tous les enfants morts de leurs combats.

Hafsia Herzi dans L’aube du monde

L’interprétation sans faille de Hafsia Herzi est à la hauteur de toutes les attentes, ainsi que celle de Karim Saleh avec une mention particulière pour Sayed Ragab que je trouve exceptionnel. Un grand acteur dont on peut tout lire sur le visage. Il a de moments de silence d’une grande profondeur, notamment dans la scène où il dit qu’il fait tout dans le village. Il y a également un grand respect de la femme dans ce film, des femmes. La scène ou Riad vient voir Zahra et sa mère et que le portrait de Mastour tombe et particulièrement forte. On prend bien conscience aussi du poids et des responsabilités qu’elles ont sur les épaules dans cette société. Une autre idée, très belle aussi, est celle de la veste de Mastour que Riad donne au jeune garçon. A travers lui c’est aussi tout l’avenir d’un peuple qui se dessine.


Hafsia Herzi et Walid Abou Al-Magd 
dans L’aube du monde

Je crois que le grand public ne demande qu’à voir ce genre de films, vraiment trop peu « promus » par les réseaux de distribution, et on ne peut que le regretter surtout quand on voit le nombre invraisemblable de bêtises qui éclosent chaque jour un peu plus sur les écrans du monde.


L’aube du monde de Abbas Fahdel (2008 DVD Editions Montparnasse

mardi 9 février 2010

Les chroniques de Sarah Connor

La série Les chroniques de Sarah Connor est vraiment scotchante. Moi qui suis un fan du concept de Terminator, c'est un vrai plaisir. On retrouve toutes les constantes des 3 films avec plein de nouvelles petites histoires axées autour du thème de l'aller et retour dans le temps, de la multiplication des Terminators, bons ou méchants, venus protéger ou détruire John Connor âgé d'une vingtaine d'années. On apprend également que Skynet n'est pas mort, il y a un successeur à Miles Dyson qui, inconscient des dangers des recherches, reprend son programme. La guerre pour empêcher l'apocalypse nucléaire continue donc, le tout parsemé d'un brin d'humour avec évidemment plein de clins d'oeils aux films qu'on connaît par coeur. Et puis ça se féminise un peu, c'est vraiment un régal. Certains épisodes sont réalisés par Sergio Mimica-Gezzan, ancien assistant de Spielberg, déjà vu au générique de la fabuleuse série Into the West.

Lena Headey 
dans le rôle de Sarah Connor

Terminator : The Sarah Connor chroniclesDVD et Blu-Ray, intégrales saisons 1,2,3.

vendredi 15 janvier 2010

Shutter Island : un labyrinthe de la mémoire

Shutter Island est un film dans lequel on s’aventure avec une profonde dose d’angoisse, l’effet ne pouvant être que décuplé pour qui n’a pas lu le roman de Dennis Lehane. Tourmenté, labyrinthique et cauchemardesque à souhaits, l’œuvre, avec quasiment peu d’effets spéciaux et une mise en scène sans tapage, se présente comme du pur cinéma dans la tradition du film noir et du film fantastique. Il repose essentiellement sur son intrigue – remarquable scénario de Laeta Kaelogridis – et sur le jeu exceptionnel des acteurs, Di Caprio en tête, accompagné de Mark Ruffalo, Ben Kingsley, Max von Sydow, Emily Mortimer et Patricia Clarkson.

Mark Ruffalo et Leonardo di Caprio dans
Shutter Island (2010) 


On avance dans Shutter island comme dans un puits sans fonds, chaque point de repère disparaissant à vue d’œil au profit d’un monde où illusions, rêves et passé viennent sans cesse nous hanter au même titre que le personnage principal. La notion même de héros vole en éclats, le spectateur finissant même par ne plus pouvoir se raccrocher à lui. Dans ce gouffre suintant où tout ne semble progressivement qu’aliénation, Martin Scorsese nous entraîne avec une délectation sans pareil dans le plus empoisonné des mets. On a l’impression d’être dans un film d’Hitchcock revisité où le James Stewart de Vertigo ne serait plus qu’un pantin désarticulé et perdu à jamais dans d’insondables profondeurs. La photo de Robert Richardson, extraordinaire, ne fait qu’accentuer cette impression de trouble mental, comme si elle appartenait à un vieux Technicolor dont le secret s’est perdu à jamais. L’utilisation de la musique, Penderecki, Ligeti, Philip Glass, nous prend à la gorge pour pénétrer dans ce labyrinthe de la mémoire infesté d’effroyables souvenirs de Dachau et d’autres crimes. Ce qui surprend, à une heure de surenchère audio-visuelle, est la puissance d’évocation du réalisateur qui manie le cinéma tels les plus grands maîtres, ce qui me fait me demander par ailleurs si la connaissance à un tel point du 7e art subsistera après la disparition de ses derniers dinosaures.

Shutter Island est un film magistral dont l’écho des voix profondes n’en finira pas de hanter les nuits de ses admirateurs en un dernier frisson d’effroi.


Leonardo di Caprio dans
Shutter Island (2010) 

jeudi 7 janvier 2010

2 films méconnus de Douglas Sirk

Parmi les petits chefs d’oeuvre moins connus de Douglas Sirk programmés dans l’intégrale sur TCM, il y en a deux que je recommande particulièrement : All I desire et Has anybody seen my gal ? Le premier, brillamment interprété par Barbara Stanwick, évoque une actrice qui, après avoir reçu une lettre de sa fille apprentie comédienne lui demandant de venir la voir jouer au théâtre, retourne auprès de ses enfants dont elle était séparée depuis de nombreuses années. Chronique douce-amère déjà empreinte d’élans mélodramatiques sirkiens par excellence, le film brille par sa mise en scène fluide et sa direction d’acteurs avec un soin minutieux apporté à la lumière, aux décors et aux costumes. Moins désabusé que son personnage dans Clash by night de Fritz lang, ici celui de Stanwick excelle de par sa justesse. Tout dans ce film contribue à en faire une oeuvre beaucoup moins simpliste qu’il y paraît et où la psychologie de chaque personnage est affinée d’une manière particulièrement moderne pour l’époque. All I desire n’est pas sans rappeler les oeuvres de Minnelli, c’est vraiment du grand cinéma.


Barbara Stanwick et Richard Carlson dans
 All I desire (1952)

Has anybody seen my gal ? tourné l’année suivante, est un pur joyau de la comédie au Technicolor sublimement restauré, et dont le rythme époustouflant nous ferait presque penser à du Stanley Donen. Le sujet exploite aussi un personnage seul face à des responsabilités familiales, quoique cette fois-ci tourné en dérision. Un riche célibataire septuagénaire veut léguer sa fortune aux enfants de celle qui l’avait refusé en mariage durant sa jeunesse pauvre, et grâce auquel il doit finalement son succès dans les affaires. Prétextant une chambre à louer il s’installe chez eux pour connaître un peu mieux ses futurs légataires. Charles Coburn fait une éblouissante composition. Le film est sans temps mort et d’une grande drôlerie ce qui tend à prouver une nouvelle fois que les meilleurs humoristes sont aussi les meilleurs tragédiens. Tout ici est couleur, rythme, sensualité, intelligence, un pur régal pour l’oeil. En prime on remarquera l’apparition de James Dean à un comptoir en amateur de glaces. A voir absolument.

Piper Laurie et Charles Coburn dans
Has anybody seen my gal ?  (1953)

All i desire de Douglas Sirk (1953) Avec Barbara Stanwick, Richard Carlson, Marcia henderson, Maureen O'Sullivan - N & B - 90 minutes
As anybody seen my gal ? (Qui a vu ma belle ?) de Douglas Sirk (1952) Avec Charles Coburn, Piper Laurie, Rock Hudson - Technicolor - 90 minutes

Les films de Claude Berri


Tout le monde parlait de Claude Berri comme du plus grand producteur du cinéma français, voire du dernier nabab. Oui, c’est vrai, il a produit des films à succès et dans tous les genres - il a même bu parfois la tasse en se risquant sur des œuvres très ambitieuses - , son nom en tout cas fut incontournable dans le cinéma français depuis la fin des années 70.

Mais c’est vite oublier le parcours incroyable de ce petit bonhomme pour lequel au départ rien n’était gagné. Fils de fourreur et rebelle à la cause familiale, Claude Langmann a commencé par faire l’acteur de troisième plan dans nombre de films français du temps de la Nouvelle Vague. Mais on ne lui proposait rien de plus intéressant qu’être l’éternel bon-copain-du-copain-du-héros, et il s’est mis à écrire ses propres histoires dans le désir d’en faire d’abord des courts-métrages. N’arrivant cependant pas à trouver de réalisateur le voilà obligé de devenir lui-même metteur en scène. Et si à ce moment-là, en 1963, il n’avait pas obtenu l’Oscar du meilleur court-métrage, qui d’autre qu’Hollywood lui aurait attribué des honneurs ? Personne ne voulant produire son premier film il a fallu également qu’il se mette à son propre compte et ce, jusqu’à devenir également distributeur afin de pouvoir diffuser son travail dans les salles. C’était ça, Claude Berri.

Hubert Deschamps et Claude Berri dans 
Janine (court métrage de Maurice Pialat, 1962)


Ses films sont pour la plupart autobiographiques, ils puisent leur inspiration dans la vie réelle sur des thèmes simples et universels comme l’avaient fait avant lui Chaplin, Renoir, Pagnol, Guitry. Le vieil homme et l’enfant, Le cinéma de papa, La première fois sont à l’opposé de tout intellectualisme et réussissent à nous émouvoir avec intelligence, sensibilité et poésie. Ils peignent avec une grande justesse des fragments de vie, sans jamais avoir recours à la méchanceté. On trouve chez ce cinéaste tout un véritable art de conter.

Alain Cohen et Michel Simon dans 
Le vieil homme et l'enfant (1966)

Tchao Pantin le plaça aux yeux de tous comme l’un des 4 ou 5 plus grands réalisateurs en France. Il révéla tout au long de son oeuvre des acteurs importants (Agnès Soral, Daniel Auteuil, Emmanuelle Béart…) offrit à Depardieu deux de ses plus grands rôles avec Jean de Florette et surtout Uranus, portrait au vitriol de la France sous l’Occupation.  Ce chef d’œuvre incontournable est devenu un grand classique au même titre que Casque d’or.


Philippe Noiret et Jean-Pierre Marielle dans 
Uranus (1990)


Amateur d’art et principalement de peinture contemporaine, l’ouverture dans le Marais de la galerie qui porte son nom fut en 2008 l’occasion unique de découvrir des œuvres qu’il collectionnait en toute confidentialité  de Man Ray à Kentridge en passant par Paul Mac Carthy. Il s’était également confié dans un livre d’une incroyable franchise, Autoportrait, et qu’il avait mis plusieurs années à écrire.

La disparition en janvier 2009 de cette très haute personnalité du cinéma nous a saisi de par sa soudaineté, dans un monde qui voit disparaître chaque jour un peu plus les derniers détenteurs d’un art de l’éclectisme.

Bibliographie : Autoportrait par Claude Berri, éditions Léo Scheer, 2003, et Le livre de poche, 2005.

mardi 5 janvier 2010

L'étrange histoire de Benjamin Button : un film qu'on n'est pas prêt d'oublier

J'ai adoré The curious case of Benjamin Button. C'est un de ces films qui nous laisse une marque profonde, on pourra bientôt le ranger parmi les plus grands . Un film de ce niveau-là, je n'en avais pas vu depuis longtemps.Il parle de la beauté éphémère de l'instant présent, de la transmission de l'amour et de ces accidents de parcours qui redonnent parfois à l'être humain ses lettres de noblesse. David Fincher est décidément un très grand cinéaste et il nous surprend encore une fois là où on ne l'attendait pas. Le scénario adapté de Scott Fitgerald, d'une exceptionnelle richesse, ne se borne pas à relater le cas étrange de Benjamin Button qui naît avec l'organisme d'un homme de 90 ans pour accomplir le parcours inverse des aiguilles d'une montre et arriver au terme de son existence en étant un nouveau-né. La prouesse du récit est de parvenir à faire graviter autour de Button tous les autres personnages qui avancent, eux, dans l'ordre naturel du temps. Cette complexité psychologique façonne elle-même la trame du film et donne lieu à d'incroyables scènes, où tout se perd dans le temps comme si finalement rien n'avait vraiment existé. Mais la véritable performance du film est due à l'étourdissante composition de Cate Blanchett qui atteint un degré d'intensité rarement égalé à l'écran. Tout l'honneur en revient d'ailleurs à Brad Pitt qui réussit à s'effacer devant elle, donnant ainsi au personnage de Button une juste retenue dans l'émotion. On n'est pas prêt d'oublier la scène où Cate Blanchett fait des pas de danse sous la lune accompagnée par la magnifique musique d'Alexandre Desplat. Une toile de maître digne de Spielberg.

Brad Pitt dans The curious case of Benjamin Button (2008)