vendredi 15 janvier 2010

Shutter Island : un labyrinthe de la mémoire

Shutter Island est un film dans lequel on s’aventure avec une profonde dose d’angoisse, l’effet ne pouvant être que décuplé pour qui n’a pas lu le roman de Dennis Lehane. Tourmenté, labyrinthique et cauchemardesque à souhaits, l’œuvre, avec quasiment peu d’effets spéciaux et une mise en scène sans tapage, se présente comme du pur cinéma dans la tradition du film noir et du film fantastique. Il repose essentiellement sur son intrigue – remarquable scénario de Laeta Kaelogridis – et sur le jeu exceptionnel des acteurs, Di Caprio en tête, accompagné de Mark Ruffalo, Ben Kingsley, Max von Sydow, Emily Mortimer et Patricia Clarkson.

Mark Ruffalo et Leonardo di Caprio dans
Shutter Island (2010) 


On avance dans Shutter island comme dans un puits sans fonds, chaque point de repère disparaissant à vue d’œil au profit d’un monde où illusions, rêves et passé viennent sans cesse nous hanter au même titre que le personnage principal. La notion même de héros vole en éclats, le spectateur finissant même par ne plus pouvoir se raccrocher à lui. Dans ce gouffre suintant où tout ne semble progressivement qu’aliénation, Martin Scorsese nous entraîne avec une délectation sans pareil dans le plus empoisonné des mets. On a l’impression d’être dans un film d’Hitchcock revisité où le James Stewart de Vertigo ne serait plus qu’un pantin désarticulé et perdu à jamais dans d’insondables profondeurs. La photo de Robert Richardson, extraordinaire, ne fait qu’accentuer cette impression de trouble mental, comme si elle appartenait à un vieux Technicolor dont le secret s’est perdu à jamais. L’utilisation de la musique, Penderecki, Ligeti, Philip Glass, nous prend à la gorge pour pénétrer dans ce labyrinthe de la mémoire infesté d’effroyables souvenirs de Dachau et d’autres crimes. Ce qui surprend, à une heure de surenchère audio-visuelle, est la puissance d’évocation du réalisateur qui manie le cinéma tels les plus grands maîtres, ce qui me fait me demander par ailleurs si la connaissance à un tel point du 7e art subsistera après la disparition de ses derniers dinosaures.

Shutter Island est un film magistral dont l’écho des voix profondes n’en finira pas de hanter les nuits de ses admirateurs en un dernier frisson d’effroi.


Leonardo di Caprio dans
Shutter Island (2010) 

jeudi 7 janvier 2010

2 films méconnus de Douglas Sirk

Parmi les petits chefs d’oeuvre moins connus de Douglas Sirk programmés dans l’intégrale sur TCM, il y en a deux que je recommande particulièrement : All I desire et Has anybody seen my gal ? Le premier, brillamment interprété par Barbara Stanwick, évoque une actrice qui, après avoir reçu une lettre de sa fille apprentie comédienne lui demandant de venir la voir jouer au théâtre, retourne auprès de ses enfants dont elle était séparée depuis de nombreuses années. Chronique douce-amère déjà empreinte d’élans mélodramatiques sirkiens par excellence, le film brille par sa mise en scène fluide et sa direction d’acteurs avec un soin minutieux apporté à la lumière, aux décors et aux costumes. Moins désabusé que son personnage dans Clash by night de Fritz lang, ici celui de Stanwick excelle de par sa justesse. Tout dans ce film contribue à en faire une oeuvre beaucoup moins simpliste qu’il y paraît et où la psychologie de chaque personnage est affinée d’une manière particulièrement moderne pour l’époque. All I desire n’est pas sans rappeler les oeuvres de Minnelli, c’est vraiment du grand cinéma.


Barbara Stanwick et Richard Carlson dans
 All I desire (1952)

Has anybody seen my gal ? tourné l’année suivante, est un pur joyau de la comédie au Technicolor sublimement restauré, et dont le rythme époustouflant nous ferait presque penser à du Stanley Donen. Le sujet exploite aussi un personnage seul face à des responsabilités familiales, quoique cette fois-ci tourné en dérision. Un riche célibataire septuagénaire veut léguer sa fortune aux enfants de celle qui l’avait refusé en mariage durant sa jeunesse pauvre, et grâce auquel il doit finalement son succès dans les affaires. Prétextant une chambre à louer il s’installe chez eux pour connaître un peu mieux ses futurs légataires. Charles Coburn fait une éblouissante composition. Le film est sans temps mort et d’une grande drôlerie ce qui tend à prouver une nouvelle fois que les meilleurs humoristes sont aussi les meilleurs tragédiens. Tout ici est couleur, rythme, sensualité, intelligence, un pur régal pour l’oeil. En prime on remarquera l’apparition de James Dean à un comptoir en amateur de glaces. A voir absolument.

Piper Laurie et Charles Coburn dans
Has anybody seen my gal ?  (1953)

All i desire de Douglas Sirk (1953) Avec Barbara Stanwick, Richard Carlson, Marcia henderson, Maureen O'Sullivan - N & B - 90 minutes
As anybody seen my gal ? (Qui a vu ma belle ?) de Douglas Sirk (1952) Avec Charles Coburn, Piper Laurie, Rock Hudson - Technicolor - 90 minutes

Les films de Claude Berri


Tout le monde parlait de Claude Berri comme du plus grand producteur du cinéma français, voire du dernier nabab. Oui, c’est vrai, il a produit des films à succès et dans tous les genres - il a même bu parfois la tasse en se risquant sur des œuvres très ambitieuses - , son nom en tout cas fut incontournable dans le cinéma français depuis la fin des années 70.

Mais c’est vite oublier le parcours incroyable de ce petit bonhomme pour lequel au départ rien n’était gagné. Fils de fourreur et rebelle à la cause familiale, Claude Langmann a commencé par faire l’acteur de troisième plan dans nombre de films français du temps de la Nouvelle Vague. Mais on ne lui proposait rien de plus intéressant qu’être l’éternel bon-copain-du-copain-du-héros, et il s’est mis à écrire ses propres histoires dans le désir d’en faire d’abord des courts-métrages. N’arrivant cependant pas à trouver de réalisateur le voilà obligé de devenir lui-même metteur en scène. Et si à ce moment-là, en 1963, il n’avait pas obtenu l’Oscar du meilleur court-métrage, qui d’autre qu’Hollywood lui aurait attribué des honneurs ? Personne ne voulant produire son premier film il a fallu également qu’il se mette à son propre compte et ce, jusqu’à devenir également distributeur afin de pouvoir diffuser son travail dans les salles. C’était ça, Claude Berri.

Hubert Deschamps et Claude Berri dans 
Janine (court métrage de Maurice Pialat, 1962)


Ses films sont pour la plupart autobiographiques, ils puisent leur inspiration dans la vie réelle sur des thèmes simples et universels comme l’avaient fait avant lui Chaplin, Renoir, Pagnol, Guitry. Le vieil homme et l’enfant, Le cinéma de papa, La première fois sont à l’opposé de tout intellectualisme et réussissent à nous émouvoir avec intelligence, sensibilité et poésie. Ils peignent avec une grande justesse des fragments de vie, sans jamais avoir recours à la méchanceté. On trouve chez ce cinéaste tout un véritable art de conter.

Alain Cohen et Michel Simon dans 
Le vieil homme et l'enfant (1966)

Tchao Pantin le plaça aux yeux de tous comme l’un des 4 ou 5 plus grands réalisateurs en France. Il révéla tout au long de son oeuvre des acteurs importants (Agnès Soral, Daniel Auteuil, Emmanuelle Béart…) offrit à Depardieu deux de ses plus grands rôles avec Jean de Florette et surtout Uranus, portrait au vitriol de la France sous l’Occupation.  Ce chef d’œuvre incontournable est devenu un grand classique au même titre que Casque d’or.


Philippe Noiret et Jean-Pierre Marielle dans 
Uranus (1990)


Amateur d’art et principalement de peinture contemporaine, l’ouverture dans le Marais de la galerie qui porte son nom fut en 2008 l’occasion unique de découvrir des œuvres qu’il collectionnait en toute confidentialité  de Man Ray à Kentridge en passant par Paul Mac Carthy. Il s’était également confié dans un livre d’une incroyable franchise, Autoportrait, et qu’il avait mis plusieurs années à écrire.

La disparition en janvier 2009 de cette très haute personnalité du cinéma nous a saisi de par sa soudaineté, dans un monde qui voit disparaître chaque jour un peu plus les derniers détenteurs d’un art de l’éclectisme.

Bibliographie : Autoportrait par Claude Berri, éditions Léo Scheer, 2003, et Le livre de poche, 2005.

mardi 5 janvier 2010

L'étrange histoire de Benjamin Button : un film qu'on n'est pas prêt d'oublier

J'ai adoré The curious case of Benjamin Button. C'est un de ces films qui nous laisse une marque profonde, on pourra bientôt le ranger parmi les plus grands . Un film de ce niveau-là, je n'en avais pas vu depuis longtemps.Il parle de la beauté éphémère de l'instant présent, de la transmission de l'amour et de ces accidents de parcours qui redonnent parfois à l'être humain ses lettres de noblesse. David Fincher est décidément un très grand cinéaste et il nous surprend encore une fois là où on ne l'attendait pas. Le scénario adapté de Scott Fitgerald, d'une exceptionnelle richesse, ne se borne pas à relater le cas étrange de Benjamin Button qui naît avec l'organisme d'un homme de 90 ans pour accomplir le parcours inverse des aiguilles d'une montre et arriver au terme de son existence en étant un nouveau-né. La prouesse du récit est de parvenir à faire graviter autour de Button tous les autres personnages qui avancent, eux, dans l'ordre naturel du temps. Cette complexité psychologique façonne elle-même la trame du film et donne lieu à d'incroyables scènes, où tout se perd dans le temps comme si finalement rien n'avait vraiment existé. Mais la véritable performance du film est due à l'étourdissante composition de Cate Blanchett qui atteint un degré d'intensité rarement égalé à l'écran. Tout l'honneur en revient d'ailleurs à Brad Pitt qui réussit à s'effacer devant elle, donnant ainsi au personnage de Button une juste retenue dans l'émotion. On n'est pas prêt d'oublier la scène où Cate Blanchett fait des pas de danse sous la lune accompagnée par la magnifique musique d'Alexandre Desplat. Une toile de maître digne de Spielberg.

Brad Pitt dans The curious case of Benjamin Button (2008)