lundi 29 février 2016

César et Oscar du Meilleur Film


Que ce soit en France ou aux Etats Unis, les académies du cinéma ont récompensé cette année des films ambitieux à portée sociale sur des sujets d'actualité brûlants évitant toute caricature et finalement peu traités au cinéma. Qu'il s'agisse des difficultés d'intégration rencontrées chez les femmes d'origine maghrébine à travers deux générations différentes dans Fatima ou du tabou au sein de l'église catholique concernant les prêtres pédophiles dans Spotlight, il semblerait que ce soit une victoire qui s'amorce pour le cinéma engagé, rappelant la période des années 70 où des films porteurs de sens tels que Pain et chocolat ou Les hommes du président n'en étaient pas moins appréciés du public. Et c'est plutôt une bonne nouvelle après avoir été repu tous ces derniers temps de films à caractère lisse et dénués d'ambition ne répondant qu'aux seuls critères de la consommation immédiate. Le cinéma c'est aussi cela, les votants des académies ayant cette mission auprès du public, et ce malgré comme toujours d'incompréhensibles absents qui auraient eux aussi mérité leur place comme aux Césars L'ombre des femmes, le beau film de Philippe Garrel avec Clotilde Courau et Stanislas Merhar.

 Fatima de Philippe Faucon (2015)

                            Spotlight de Tom McCarthy (2015)

dimanche 21 février 2016

« Monsieur Klein » (1976) de Joseph Losey


Monsieur Klein est l'un des plus grands fims de Losey et l'un des meilleurs de Delon qui y est remarquable. Sans oublier les seconds rôles, exceptionnels : Jeanne Moreau, Jean Bouise, Suzanne Flon, Michel Lonsdale, Louis Seigner, Francine Bergé... et j'en passe. Tout contribue dans ce film, la photo de Gerry Fisher, les décors, la musique de Egisto Macchi, à apporter une atmosphère oppressante, glauque, suintante, quasi expressionniste. Le mal y rôde en permanence ainsi qu'un sentiment de malaise qui se faufile entre chaque plan, tout semblant s'enfoncer inexorablement vers un univers décadent et mortuaire, fait de décrépitude, d'isolement, prélude à une extermination programmée. Un labyrinthe où l'humain perd comme Klein peu à peu son identité pour ne plus être que son fantôme squelettique l'amenant progressivement à Dachau ou à Auschwitz. Chacun est Klein, devenant l'objet des bourreaux à travers le jeu pervers de la manipulation mentale qui conduit progressivement à la perte de l'identité, du moi, pour finir par succomber au processus de destruction orchestré par la machine d'anéantissement nazie. On pense au Testament du Dr Mabuse, à un monde devenu kafkaïen, diabolique, qui aboutit à cette séquence terrifiante et inouïe de réalisme de la rafle du Vel d'hiv. Rarement un film aura montré et avec un souci de précision exemplaire le processus d'infiltration du mal dans les consciences, quitte à en rendre le spectateur mortifié, pris au piège, scellé à double tour, cadenassé vers les convois de la mort. Qui est Klein ? Nous ? L'autre ? Celui qu'on cherche ? Qu'on chasse ? Qu'on persécute ? Et pourquoi lui ? Pourquoi pas nous ? C'est là toute la question posée par le film dont la seule réponse est que les auteurs ont voulu que nous soyons nous-mêmes les instruments de ce qu'ils dénonçaient.



jeudi 18 février 2016

Andrzej Zulawski ou le cinéma incandescent


Andrzej Zulawski, l’un des cinéastes les plus originaux de notre temps vient de disparaître à l’âge de 75 ans. Exalté, excessif, souvent décrié mais doué de forte créativité dans son expression visuelle et dans sa direction d’acteurs, il aura marqué d’un sceau indélébile l’histoire du cinéma européen contemporain avec des œuvres pour le moins explosives dont on ne sortait jamais indemne. Qui ne se souvient de Romy Schneider dans L’important c’est d’aimer, d’Isabelle Adjani dans Possession, de Sophie Marceau dans L’amour braque, de Valérie Kaprisky dans La femme publique, de Marie-France Pisier dans La note bleue et de tout récemment Sabine Azéma dans Cosmos, adapté de Gombrowicz. 
                                       Isabelle Adjani dans Possession (1981) 
Explorateur de l’âme féminine, il avait su donner aux actrices leurs plus beaux rôles. Il aimait les acteurs, les mettait en danger, tordant le cou aux narrations classiques, emporté par des travellings fous, des lumières brûlantes et des mises en scène incandescentes que certains jugèrent parfois outrancières et sans demi-mesure. La demi-mesure Zulawski ne la connaissait pas. Polonais dans l’âme, ses coups d’éclats cinématographiques ressemblaient davantage à l’opéra rock et au Théâtre du Grand guignol qu’aux calmes rivières des lignes éditoriales bien formatées. Ses films sont tous à redécouvrir les uns après les autres et j’en donnerais cent autres pour les quinze premières minutes de Mes nuits sont plus belles que vos jours, film baroque et lumineux sur la perte de mémoire, emporté par un Jacques Dutronc fiévreux et une Sophie Marceau d’une beauté à couper le souffle.
                               Mes nuits sont plus belles que vos jours (1989) 
Il était plus qu’un cinéaste, un artiste complet (un poète et un écrivain aussi qui a donné une dizaine d’ouvrages et plusieurs tomes de feuilletons et de mémoires) dont la singulière personnalité imprègne chaque image de ses treize longs-métrages filmés dans un sentiment d’urgence avec une sincérité absolue. Qu’Andrzej Zulawski repose en paix parmi les grands et aussi pour se souvenir que le cinéma n’est pas seulement qu’un produit de consommation. Il est un art complet, vivant, un outil indispensable de création, une forme de résistance et d’engagement à la fois politique, morale et culturelle pour toutes les générations présentes et à venir.

Andrzej Zulawski en DVD :

La troisième partie de la nuit/Le diable/Sur le globe d'argent (Malavida)
L'important c'est d'aimer (Studio Canal)
Possession (TF1 Video)
La femme publique (LCJ éditions)
L'amour braque (Studio Canal)
Boris Godounov (Gaumont)
La note bleue (Les films du collectionneur) 
Mes nuits sont plus belles que vos jours (Arthaus)
La fidélité (DVDYFilms)
Zulawski par Zulawski (Canal Plus)

mercredi 17 février 2016

Un pas dans la nuit


Pour certains rescapés du 13 novembre au Bataclan, il fut trop difficile de venir hier soir à l’Olympia écouter le concert des Eagles of death metal ; pour d’autres, notamment pour des proches des victimes, ce fut comme une dernière occasion de rendre hommage aux leurs, de se souvenir de leurs derniers instants. Moment reconstructeur et fédérateur au cours d’un concert-thérapie, malgré qu’il ne soit pas encore vraiment possible de tourner la page. Hier soir fut cependant une étape de franchie pour continuer d’avancer.  Rebaptisé « Nos amis Tour » le spectacle continue, il ne s’arrêtera pas. Un grand bravo aux Eagles et à leur public pour leur courage et leur volonté de dépasser l’indépassable. 

mardi 9 février 2016

Katherine Hepburn en mode Swing


Revu en DVD acheté sur le marché pour 1 € le formidable Pat and Mike (Mademoiselle gagne-tout) réalisé par George Cukor en 1952. Katherine Hepburn y incarne une joueuse de golf professionnelle qui se bat pour faire valoir son identité et son indépendance. Tourné en pleine American way of life où le statut des femmes était cantonné dans celui de la bonne maîtresse de maison au service de la nation, le film cloue le bec aux productions en vigueur de cette époque, décrivant de manière fort juste les aspects de la condition féminine tiraillée entre vie privée et vie professionnelle. N'hésitant pas à mettre en scène de vraies sportives, telles la championne de tennis Gussie Moran et la championne de golf Babe Zaharias, le film surprend de par sa modernité et le tandem Katherine Hepburn-Spencer Tracy (qui incarne son manager) accomplit une nouvelle fois des prouesses. Rythme soutenu, mise en scène inventive (il faut voir la séquence du match de tennis où l'héroïne perd ses moyens), seconds rôles parfaitement dessinés (Aldo Ray dans le rôle de l'amant en prend pour son grade) et dans un autre moment très drôle Hepburn administre une mémorable peignée au jeune Charles Buchinsky-Bronson dont c'était l'un des premiers rôles. Ce petit chef d'oeuvre de George Cukor au meilleur de sa forme est un véritable régal.
Pat and Mike (Mademoiselle gagne-tout) (1952) de George Cukor

mercredi 3 février 2016

Angelina Jolie, opus 2 : « Vue sur mer »


Après Invincible que je considère comme un chef d'oeuvre, Angelina Jolie a signé avec Vue sur mer (By the sea), son 2e opus, un film beau et grave qui nous immerge dans les tourments d'un couple fragilisé par les épreuves de la vie. Très européen dans sa facture (on est proche du Villa Amalia de Benoît Jacquot) le film s'impose par un langage simple et épuré, à la mise en scène précise, dans lequel le couple Jolie-Pitt n'hésite pas à se mettre en abyme. Écrit, produit et réalisé par l'actrice, le film opère une sorte de radiographie de la mémoire qui prend le temps de se rouvrir au fur et à mesure que passent des jours d'été lumineux et silencieux. Les personnages -elle danseuse, lui écrivain- amarrés sur le bout de terre d'un Cap plein sud, tentent de renouer avec eux-mêmes dans un douloureux face à face qui est d'une touchante humanité. La communication entre les êtres, la parole comme nécessité sont les vrais sujets du film et Angelina Jolie et Brad Pitt sont d'une sobriété exemplaire. Quasiment chorégraphique, fait de murmures et de bruissements, le film, féminin avant tout, est un moment de grâce qui nous comble en ces temps de violence et de fureur. Gabriel Yared signe une partition magique et les seconds rôles, Niels Arestrup en tête, participent à cet enchantement au charme discret, pudique et tout en délicatesse. Un film au goût presque suranné qui confirme l'indéniable talent d'Angelina Jolie en tant que réalisatrice.
Angelina Jolie et Brad Pitt dans Vue sur mer (2015)