lundi 31 juillet 2017

Souvenir de Jeanne Moreau

Réalisant à mes débuts le documentaire Au cœur de Nikita sur le film de Luc Besson, je tenais à y inclure une séquence avec Jeanne Moreau. Après lui avoir fait part de mon intention, je lui laissai le choix d’être filmée où et quand elle le souhaitait. Après avoir réfléchi Jeanne me proposa de tourner la séquence dès le lendemain, me donnant rendez-vous à une heure précise devant sa loge. Elle arriva de bon matin et me dit qu’elle me préviendrait au moment opportun. J’attendis avec mon cameraman, prêt à l’action. Quelques minutes plus tard elle ouvrit la porte en me lançant avec un grand sourire : « Je suis prête ! » Nous sommes entrés discrètement dans la loge et nous nous installâmes au fond de la pièce munis d’un zoom. Caméra et magnéto se mirent aussitôt en route. Jeanne se coiffa et se maquilla seule, puis elle commença à répéter le dialogue de la fameuse séquence où elle instruit Nikita sur les vertus du maquillage et de la féminité. Je n’en perdis pas une seconde. L’intelligence de Jeanne avait été d’établir pour la séquence un parallèle entre sa propre séance de maquillage et celle de Nikita.
De filmer Jeanne Moreau fut un moment magique. Elle acceptait de livrer une part d’elle-même, confiante, devenue actrice de mon propre film et je me devais de la filmer avec douceur, avec respect. Inoubliables instants où j’immortalisais son visage, son regard, ses gestes, la sonorité si particulière de sa voix. 
Jeanne était de ces êtres ouverts sur les nouveaux venus, elle les poussait littéralement en avant. 
Chère Louise de Philippe de Broca est un film que j’adore sans oublier Lumière et L’adolescente, les deux longs-métrages qu’elle a réalisé.

Luc Besson et Jeanne Moreau sur le tournage de Nikita

jeudi 27 juillet 2017

DUNKERQUE (2017) de Christopher Nolan


Les récentes déclarations de Christopher Nolan accusant Netflix de balayer d’un revers de main l’exploitation du cinéma dans salles, trouvent parfaitement leur écho lorsqu’on voit son dernier film Dunkerque. L’expérience cinématographique qu’il propose sur grand écran n’a effectivement que d’égal elle-même. La plongée dans un tel récit ne peut que s’opérer pleinement sur écran géant avec la participation des spectateurs, comme le théâtre antique à l’origine, les émotions se partageant dans le recueillement, le silence, les ombres, la lumière et les respirations du récit. D’oublier cette messe serait comme voir Le radeau de la Méduse de Géricault sur une tablette plutôt qu’au musée du Louvre. La version du film en 70 mm proposée dans certaines salles augmente encore cette pleine expérience qu’est celle du cinéma, septième art qui a mis plus d’un siècle pour rayonner de toutes parts en terme de qualité d’image et de son sur des écrans de 10 mètres de haut et 20 mètres de large.


Le film de Christopher Nolan est à l’image de tout ce que le cinéma a pu apporter en tant qu’art et spectacle aux générations qui furent les premières à s’en nourrir et pour lesquelles certaines œuvres furent inscrites en eux à jamais. Car c’est bien de cinéma dont Nolan nous parle, de ce temps qui s’installe sur l’écran pour mieux entrer dans une époque passée, insufflant une dimension propre à cet art fait d’ombres, de lumières de sons et de musique.

Dunkerque renoue avec cette tradition, offrant une œuvre grave en forme d’hommage aux soldats britanniques évacués lors de la bataille qui fit rage au printemps 1941. Une récente polémique faisait apparaître la cruelle absence des soldats français au bénéfice des anglais. Soyons sérieux un instant. Le film qui relate un court épisode de « L’opération Dynamo », conçue pour faciliter l’évacuation des Anglais pris en étau par les Nazis, s’ouvre sur la protection de l’armée britannique par l’héroïque résistance française dans les rues de Dunkerque bombardées par les Allemands. Grâce aux Français qui sont en première ligne, les Anglais peuvent ainsi rejoindre la plage pour embarquer. Nolan, d’origine britannique, prend alors le point de vue de ses ancêtres qui ont essuyé l’un des revers les plus meurtriers de la deuxième guerre mondiale. Réfugiés sur leurs navires sous le feu de la Luftwaffe et malgré que celle-ci soit contrecarrée par les avions alliés, les rescapés tentent tant bien que mal de regagner l’Angleterre au milieu des nombreux navires coulés, y compris celui de la Croix-Rouge, sur des bateaux de pêche et de plaisanciers français ou venant de la Tamise. Ce seront au total plus de 300.000 hommes sur 400.000 qui seront sauvés durant les neuf jours de l’évacuation.

Dunkerque (2017) de Christopher Nolan

Le film n’est en rien un blockbuster. Au contraire, très européen de facture, il repose davantage sur des instantanés, des moments de vie que sur des effets spéciaux et des batailles. Ce sont les visages qui intéressent Nolan. La peur qu’on peut y lire, mêlée à ce sentiment d’absurdité que tout soldat finit par éprouver à un moment donné face à une mort imminente, à la loterie de la survie en temps de guerre. Le point de vue humain intéresse davantage le réalisateur que tout effet de style. Prenant le temps de filmer l’instant présent, de derniers moments de vie au milieu d’un massacre qui dépasse les soldats, il nous dépeint leur détresse, leur solidarité, leur courage face à l’épouvante. De saisissantes séquences sans aucun dialogue, soulignées par l’unique son des explosions, des rafales de balles, illustrent à elles seules ce qu’est le film. C’est donc une certaine sobriété qui s’en émane, plus proche du Kanal (Ils aimaient la vie)l de Andrzej Wajda que du Pearl Harbour de Michael Bay, sans excessive valorisation de l’héroïsme. Le personnage principal, campé par le jeune Fionn Whitehead dont c’est le premier rôle au cinéma, traverse le cauchemar de Dunkerque comme témoin involontaire d’une apocalypse qui se déroule sous ses yeux. Échappant in extremis à la mort, déconcerté d’être encore en vie l’instant d’après, il nous rappelle à travers son regard sensible à la fragilité des existences au cœur des combats.

Fionn Whitehead dans Dunkerque (2017)

L’autre point qui renforce le film est qu’on ne voit jamais l’ennemi, principe utilisé notamment par Stanley Kubrick dans Les sentiers de la gloire. L’Allemand est réduit à l’état d’une machine de guerre invisible, anonyme, ce qui amplifie encore davantage le sentiment d’oppression dans laquelle les soldats sont enferrés. Mais si le film rend compte de ce piège mortel, il décrit aussi en parallèle la lutte acharnée de ceux qui se sont donnés pour mission de sauver les rescapés des navires torpillés, à commencer par le capitaine du bateau de pêche Moonstone, subtilement interprété par Mark Rylance. C’est de cette course contre la montre que Christopher Nolan puise son récit, l’entraînant dans une unité de temps vers la seule volonté de s’extirper de l’enfer qui guide le film dès les premières images.

Il est rare que les nouvelles générations traitent de faits de guerre bien antérieurs à leur naissance. Il faut reconnaître cette qualité au réalisateur des « Batman » d’avoir su explorer ce genre et d’être brillamment parvenu à le restituer en terme d’écriture, ce qui est loin d’être courant à Hollywood de nos jours.

Mark Rylance dans Dunkerque (2017)

VALÉRIAN ET LA CITÉ DES MILLE PLANÈTES (2017) de Luc Besson


La première raison d’aller voir Valérian et la cité des mille planètes est Historique. C’est la première fois depuis Georges Méliès et son Voyage dans la lune en 1902 (si l’on excepte les films d’animation La planète sauvage, Les maîtres du temps de René Laloux et le Tykho moon d’Enki Bilal en 1997) que des Français s’attaquent à de la pure science-fiction dans l’espace interplanétaire, genre uniquement pour l’heure exploré à travers la littérature et la B.D. Et l’on ne peut pas dire que le film manque de magie ! Besson réussit le pari d’égaler ses maîtres anglo-saxons en la matière de par sa maîtrise des univers visuels, des décors et des effets spéciaux. Qui plus est, il parvient pour celle et celui qui le veut bien à nous embarquer dans son voyage spatial tel des enfants devant une vitrine de jouets. J’ai marché, j’ai rêvé, pris du plaisir et éprouvé beaucoup d’émotions. Retour aux sources pour le réalisateur du Cinquième élément qui nous replonge dans ses rêves de gosse lisant les aventures de Valérian et Laureline chaque semaine dans le journal Pilote. Ce qui était impossible à l’époque et jusqu’aux récents travaux de James Cameron sur Avatar, le cinéaste l’a fait. Qu’on ne nous dise plus que nous sommes toujours à la traîne, dépassés par les Américains en leur abandonnant ce leadership. La preuve est désormais faite qu’en France, pays qui vit naître le septième art, tout est devenu possible.



De surcroît, l’élément sans doute le plus fort du film c’est son message. A l’heure où au cinéma tout n’est souvent que violence et apocalypse sans fin jusqu’à la destruction du dernier humain, Besson amorce un virage à contre-courant en nous laissant un message de paix, une vision rassembleuse et positive de l’Humanité. L’on ne peut qu’approuver si l’on croit en l’avenir, ne serait-ce que pour nos enfants, ceux-ci étant pour une fois un peu plus aimés et respectés en ne leur montrant pas un spectacle d’horreur, d’épouvante, de monstruosité sanglante et désespérante dont ils s’abreuvent déjà assez à longueur de journée. Le monde des Pearls en est à l’opposé, tel le message laissé par Lucy sur la folie guerrière des humains et qui rappelait l’avertissement lancé par les extra-terrestres dans Le jour où la Terre s’arrêta de Robert Wise en 1951. Le cinéaste à qui l’on reproche souvent d’être « creux » reformule ici son vibrant plaidoyer pour un monde plus engageant, voire teinté de spiritualité, chose rare par les temps qui courent.



Si je mets de côté la séquence où apparaît Rihanna dans sa chorégraphie, fort originale, mais qui accuse une petite longueur, les 2h15 de projection passent comme une lettre à la poste. On peut être fier de notre cinéma, tous les enfants peuvent y aller, c’est magique, bourré d’humour et d’idées parmi les plus extravagantes. Suspense, action et festivités en tous genres sont au rendez-vous. Il ne faut pas s’étonner que le public américain adepte de super-héros prônant la suprématie de leur continent aient à priori quelque peu boudé le spectacle. La fraîcheur qui en ressort et son absence totale de cynisme et de misogynie est tout à son honneur. Souhaitons longue vie en Europe, en Chine et partout ailleurs à ce space opéra admirablement orchestré par Alexandre Desplat qui redonne le goût de l’enfance disparue et des temps anciens où l’on parlait davantage d’humanité que d’individualisme forcené.