mardi 29 août 2017

Hommage à Mireille Darc (1938-2017)

Elle avait créé un personnage entré dans les mœurs, estampillé par l’expression « une coupe à la Mireille Darc ». En ces années 60/70 où la femme se libère, sort de ses archétypes, l’héroïne des Barbouzes et de La grande sauterelle exprimait avec humour une indépendance toute féminine dans la lignée de ses consoeurs, Catherine Deneuve, Françoise Dorléac, Marlène Jobert et dont la pionnière fut Brigitte Bardot. Douée d’une aisance pour la comédie pure, choses rare chez les actrices, Mireille Darc avait la particularité de se fondre dans les textes de Michel Audiard, Bertrand Blier et Francis Veber avec un sens du rythme qui faisait plaisir à voir. On n’est pas prêt d’oublier son rôle d’espionne dans Le grand blond avec une chaussure noire d’Yves Robert et son personnage de Tchoo-Tchoo dans le déjanté Fantasia chez les ploucs de Gérard Pirès. Icône féminine des films d’hommes, elle brocardait la gent masculine, n’hésitant pas à jouer des codes de séduction pour tordre le cou avec malice aux machos et aux séducteurs en tous genres. Il faut revoir La blonde de Pékin, sorte de Modesty Blaise à la française, où pour une fois dans le cinéma français de cette époque c’est la femme qui prend les rênes du film d’espionnage, reléguant au second plan le mari, l’amant et les tueurs. 

La blonde de Pékin (1967) de Nicolas Gessner

Jerry Lewis disait que la critique avait toujours détesté ses films parce que c’étaient des comédies, genre peu digne d’intérêt pour les intellectuels et les bien-pensants. Il avait fallu attendre tardivement de le voir dans un rôle dramatique (La valse des pantins de Martin Scorsese) pour qu’on daigne lui attribuer une reconnaissance pour son travail. Comme si l’Oscar qui lui fut décerné pour ce film faisait enfin apparaître son talent. 

Très largement appréciée du public, on ne peut que regretter l’absence d’une vraie reconnaissance pour l’actrice de Galia, seul film de Mireille Darc a avoir obtenu un Prix d’interprétation féminine…en Argentine.
Reconnaissons-lui par ailleurs de s’être investie avec un égal talent dans la photographie et la réalisation. Mireille Darc avait exposé l’année dernière chez Artcurial une très belle série en noir en noir et blanc mettant en valeur la sensualité féminine pour son exposition Un après-midi à Saint-Germain-des-Prés. Elle avait également réalisé un long-métrage (La barbare en 1989) et une douzaine de documentaires : Pas sur la bouche sur la prostitution et sa violence, Pardonner et surtout Elles sont des dizaines de milliers sans abri en 2015. La réalisatrice rappelait avec ce film que deux millions et demi de femmes vivent en France sous le seuil de pauvreté, bataillant quotidiennement pour survivre. Mettant en lumière toutes les failles d’un système, c’est avec beaucoup de sensibilité qu’elle parvenait à donner la parole à ces « devenues invisibles », à force de misère et de rejet. 

Méconnue pour ses engagements, Mireille Darc était une personnalité discrète qui savait être à l’écoute des autres et dont la simplicité et la générosité touchait.


lundi 21 août 2017

Jerry Lewis le magicien

La première fois que je vis Jerry Lewis dans un film, c’était à l’âge de 12 ans lors du passage à la TV de L’increvable Jerry  (It’s only money) réalisé en 1962 par Franck Tashlin. Tout y était hilarant : le personnage de Lester March, impossible réparateur de TV, les nombreux gags et surtout la fameuse séquence où Jerry est poursuivi par des tondeuses à gazon-tueuses dans la villa des malfrats. J’ai ri ce jour-là à gorge déployée, le film rappelant les grandes heures du cinéma muet de Chaplin à Buster Keaton en passant par Harold Lloyd et Harry Langdon. Qui plus est la réalisation exceptionnelle du maître de la comédie Franck Tashlin était si inventive que tout concourrait à ce que ma découverte du génie de Lewis fut riche et complète. Lewis eut une telle empreinte sur moi que j’ai passé plus de vingt ans à porter des chaussettes blanches comme lui dans ses films. Puis ce fut au tour des autres grands Lewis d’apparaître progressivement sous mes yeux : Artistes et modèles, 1955, du temps de son duo avec Dean Martin, Trois bébés sur les bras (Rock-a-bye baby 1958), Cendrillon aux grands pieds (Cinderfella, 1960), Un chef de rayon explosif  (Who’s minding the store, 1963, avec son admirable séquence de démonstration d’un aspirateur-fou), tous du même Tashlin. Et puis bien sûr je découvris l’œuvre de Lewis, écrite, interprétée, produite et réalisée par lui-même : The bellboy (Le dingue du palace, 1960), The Errand boy (Le zinzin d’Hollywood, 1961), The Ladies man (Le tombeur de ces dames, 1961, The nutty professor (Dr Jerry et Mister Love, 1963), The patsy  (Le souffre-douleur, 1964)…

Le fabuleux décor de The Ladies Man (1961)

Lewis n’était pas seulement un acteur, un gagman, mais aussi un formidable auteur-réalisateur : inventivité des décors, de la photo, des places de caméra, des personnages quasiment chorégraphiés, de la musique, le tout concourant vers l’excellence pour dépeindre avec une lucidité sans pareil les travers des humains. Lewis fut aussi l'un des premiers avec Godard à faire intervenir la réalité d’un plateau de cinéma allant jusqu’à filmer les caméras, les techniciens et l’envers du décor. Sorte de Tex Avery de la fiction, si Lewis avait pu faire sortir ses personnages des griffes du projecteur il aurait été assez fou pour le faire. Rappelons également qu’il fut le premier dès 1960 à utiliser le retour vidéo pour visionner les scènes grâce à des caméras de télévision qu’il plaçait dans les mêmes axes. Son sens du rythme, le travail sur la couleur, le goût pour l’humour décalé, pour les situations les plus surréalistes inspirèrent les Monty Python et toutes les nouvelles générations d’humoristes. Il faut lire The Total Film Maker (Quand je fais du cinéma), bible de cinéma et source inépuisable de techniques que Lewis nous livre avec autant de générosité qu’Hitchcock via Truffaut. 


Admiré par certains, détesté par d’autres, Jerry Lewis né Jerome Levitch ne laissa jamais indifférent. Pour preuve ceux qui l’on découvert sous un autre aspect dans King of comedy (La valse des pantins) de Martin Scorsese ou dans Arizona dream d’Emir Kusturica. Tels les grands maîtres, Chaplin, Tati, Pierre Etaix, Woody Allen, Lewis contribua à réinventer le genre grâce à un goût immodéré pour la nature humaine qu’il ne cessa de brocarder, tout en étant doté d’une exceptionnelle maîtrise des techniques du cinéma qu’il utilisait tel un magicien ou un acrobate.

Jerry Lewis en 1960