vendredi 28 décembre 2018

Sur Arte : "La mort aux trousses" (1959) d'Alfred Hitchcock

North by Northwest (La mort aux trousses, 1959. Hitchcock maître absolu du récit et ce dès les premières images. Pas une seconde de temps mort, chaque plan  à sa place, dans son juste cadrage, sa juste durée. Pas plus, pas moins. La version restaurée permet de mieux encore saisir chaque détail de ce chef d’œuvre absolu qui est un modèle de construction cinématographique. La modernité d’Hitch est affolante. Il a tout inventé de ce que nous voyons aujourd’hui dans le moindre film de genre, la moindre série. Il nous offre ici en prime un récital d’humour éblouissant, le film prenant à maintes reprises les allures d’une comédie pour le moins inattendue dans un thriller à suspense de ce type. 
Comme à l’accoutumée ce qui intéresse le réalisateur de Psychosec’est le puzzle qu’il donne à reconstituer au spectateur, lui en livrant parcimonieusement chaque pièce tout au long des 2h15 de projection qui passent comme une étoile filante. Et là où il demeure le roi c’est que partout où on l’attend, il ne cesse de surprendre par quelque trouvaille géniale. La séquence de la salle des ventes où Tornhill passe pour un acquéreur demeuré pour échapper à ses poursuivants est à ce titre un morceau d’anthologie que tous les élèves devraient étudier dans les écoles de cinéma.
Qui plus est Hitchcock reste un maître dans son utilisation de l’espace : la configuration des lieux, leurs proportions dans l’agencement de l’histoire, de la ville avec ses buildings aux confins du désert, tout tend à créer un sentiment de déphasage permanent qui ajoute encore à la dimension labyrinthique du récit. Il y a des plans géniaux dans La mort aux trousses tel cet écrasant plan large en plongée à l’O.N.U où l’on suit le trajet de Tornhill pas plus grand qu’une abeille qui accourt vers un taxi, sans parler de la fameuse séquence de l’arrêt d’autobus en plein désert où l’avion fonce sur Cary Grant ou bien encore tout le final au mont Rushmore.
Savoureuse enfin la dimension érotique du film qui atteint des sommets dans la séquence du wagon-lit : tout est conçu une nouvelle fois pour dérouter le spectateur à travers les retournements de situations et le jeu auquel se livrent Eva Marie Saint et Cary Grant. Hitchcock, jamais à court, s’amuse, se régale, pimente à souhaits son plat et use de tours de passe-passe pour le moins jubilatoires. La mort aux trousses est incontestablement l’un des sommets de l’œuvre d’Hitchcock.



samedi 19 mai 2018

Sortie DVD des "Lettres portugaises"


Bonne nouvelle que la sortie DVD des Lettres portugaises, film arraché à la vie que j’ai réalisé en 2014. L’aventure commença dans un jardin public avec l’actrice Ségolène Point qui initia le projet. Au moment où nous nous demandions comment donner naissance au film, un ballon aux couleurs du Portugal atterrit par un curieux hasard à nos pieds. Il n’en fallut pas plus pour nous convaincre de nous lancer à corps perdu dans l’aventure. L’originalité de ce film, son parti-pris de le faire vivre avec quasiment une seule actrice à l’écran, tout en respectant le texte initial paru en 1669, fait partie des plus grands défis que j’ai eu à accomplir dans ma vie. Sans être bien certain du résultat final, nous nous laissâmes guider par l’inspiration seule, la beauté des paysages du Portugal et surtout la découverte du couvent de Beja où l’histoire réelle avait eu lieu. Je ne sais encore comment j’ai pu entraîner une équipe à réaliser ce pari fou que des spectateurs ont pu découvrir en France et à travers le monde au printemps 2015. Il faut dire que nous avons été porté par la richesse d’un texte, sa dramaturgie impeccable et les nombreuses émotions qui l’habitaient. Publié comme étant l’œuvre de l’écrivain français Guilleragues, je tenais à m’engouffrer dans la controverse qu’il suscita par ailleurs : de fervents admirateurs avaient découvert que derrière ces fameuses lettres, soi-disant écrites par un homme, se profilait en fait en filigrane une religieuse portugaise du nom de Mariana Alcoforado ayant réellement existé. Tout de la recherche historique m’amena à penser que la trace de Mariana avait été effacée par les sociétés littéraires du XVIIe siècle et le film n’en devenait que plus nécessaire à mes yeux ; non seulement dans le but de réhabiliter son auteure véritable mais aussi comme preuve d’engagement en ce qui concerne la place des femmes, trop souvent écartées des milieux littéraires et artistiques de l’époque.


Si le film doit tout à son sujet et à son actrice principale, il doit également beaucoup à Francisco Ricardo qui a su retrouver des partitions originales de musique baroque portugaise pour les réinterpréter en fonction du scénario et de sa dramaturgie. Rendant hommage une nouvelle fois à la performance de Ségolène Point, unanimement saluée par la presse, je ne saurais oublier le chef opérateur Jean-Paul Saulieu, dont le travail sur la lumière a enrichi avec élégance tout l’univers des Lettres portugaises. Pour celles et ceux qui vont découvrir le film aujourd’hui en DVD je ne saurais mieux leur souhaiter un beau voyage au pays de la poésie et de la lumière, elles-mêmes traversées par la présence encore incandescente de Mariana Alcoforado.



Les Lettres Portugaises
France, 2014
Couleur, 75 minutes
Scénario et réalisation : Bruno François-Boucher
Interprétation : Ségolène Point, Nicolas Herman
Directeur de la photographie : Jean-Paul Saulieu
Son : Stéphane Soye
Musique adaptée : Francisco Ricardo
Montage : Olivier Mauffroy, Jean Dubreuil
Produit par KapFilms

vendredi 20 avril 2018

Un aperçu du film DOUCHE ÉCOSSAISE (2018)


Et si l’on s’essayait à la comédie ? J’avais déjà fait plusieurs incursions dans le genre en réalisant des courts-métrages. Après deux films difficiles, Les lettres portugaises et Révélation qui m’ont pris beaucoup de temps et dont les expériences furent parfois douloureuses, je me suis décidé à entreprendre quelque chose de plus léger : un film écrit en 15 jours et tourné en 12, sans aucune autre prétention que celle de distraire le public. Douche écossaise est une sorte de road-movie policier dans lequel rien n’est vraiment sérieux, ni l’histoire, ni les personnages, et c’est aussi ma première expérience d’écriture avec l’actrice Ségolène Point qui est tout aussi capable que moi d’un grain de folie. Nous nous sommes donc laissés embarquer dans ce trip aussi distrayant que possible et sans bien savoir où nous allions. La chanson tirée du film et dont je viens de réaliser le clip donnera le ton de cette aventure un peu atypique dont la première projection est prévue en juin à Paris.





mardi 27 février 2018

Regards d'une femme : "L'amour des hommes"(2018) de Mehdi Ben Attia


À Tunis, Amel, jeune femme émancipée se consacre à sa passion pour la photographie en croquant des portraits d’hommes. Fascinée par le corps charnel elle immortalise ceux qui acceptent de s’offrir à sa vision. C’est une chorégraphie du mouvement et une exploration de l’âme féminine que nous propose Mehdi Ben Attia, réalisateur tunisien déjà primé dans de nombreux festivals avec ses deux précédents films Le fil  (2010) et Je ne suis pas mort (2013). Œuvre touchante et dépourvue de tout voyeurisme ordinaire, le film surprend de par sa capacité à dresser avec beaucoup de justesse l’approche d’une artiste d’aujourd’hui dans des sociétés où la femme demeure encore cloisonnée dans une image de soumission devant répondre aux moeurs en vigueur. Amel déroute, inquiète, échappe aux idées reçues et doit faire sa place pour imposer son identité. La sensible Hafsia Herzi (actrice encore trop méconnue du grand public malgré son César du meilleur espoir en 2008 pour La graine et le mulet ) est filmée par Mehdi Ben Attia avec délicatesse, telle Amel « sculptant » ses modèles. Le réalisateur impose un style proche du cinéaste Satyajit Ray, explorant la société tunisienne d’aujourd’hui en un témoignage pudique qui est aussi un acte de résistance. Acte militant envers le droit des femmes, bousculant les idées reçues, L’amour des hommes est le reflet d’un monde en pleine mutation dont les bouleversements résonnent en écho avec notre actualité, la femme prenant la parole pour occuper la place qui lui est due. Le personnage de la jeune photographe inverse le processus d’une femme-objet représentée habituellement dans les images et il faut louer le travail du réalisateur pour avoir su faire éclater une vision devenue hélas lieu commun.

Hafsia Herzi dans L’amour des hommes (2018)

Les acteurs sont tous excellents parmi lesquels Raouf Ben Amor (vu dans Or noir de Jean-Jacques Annaud) qui s’impose à l’écran dans le rôle du beau-père d’Amel. Souhaitons que le film trouve la place qu’il mérite dans le ras de marée des sorties où l’on ne sait plus que voir à force de matraquages.

Si l’on aurait souhaité davantage d’épaisseur dans l’histoire d’amour entre Amel et Sami, notamment dans la dernière partie du film, la justesse de l’œuvre, lumineuse, offre néanmoins au spectateur une bouffée d’air pur et d’intelligence salutaire de par les temps qui courent.



Au cinéma à partir du 28 février 2018