mardi 27 février 2018

Regards d'une femme : "L'amour des hommes"(2018) de Mehdi Ben Attia


À Tunis, Amel, jeune femme émancipée se consacre à sa passion pour la photographie en croquant des portraits d’hommes. Fascinée par le corps charnel elle immortalise ceux qui acceptent de s’offrir à sa vision. C’est une chorégraphie du mouvement et une exploration de l’âme féminine que nous propose Mehdi Ben Attia, réalisateur tunisien déjà primé dans de nombreux festivals avec ses deux précédents films Le fil  (2010) et Je ne suis pas mort (2013). Œuvre touchante et dépourvue de tout voyeurisme ordinaire, le film surprend de par sa capacité à dresser avec beaucoup de justesse l’approche d’une artiste d’aujourd’hui dans des sociétés où la femme demeure encore cloisonnée dans une image de soumission devant répondre aux moeurs en vigueur. Amel déroute, inquiète, échappe aux idées reçues et doit faire sa place pour imposer son identité. La sensible Hafsia Herzi (actrice encore trop méconnue du grand public malgré son César du meilleur espoir en 2008 pour La graine et le mulet ) est filmée par Mehdi Ben Attia avec délicatesse, telle Amel « sculptant » ses modèles. Le réalisateur impose un style proche du cinéaste Satyajit Ray, explorant la société tunisienne d’aujourd’hui en un témoignage pudique qui est aussi un acte de résistance. Acte militant envers le droit des femmes, bousculant les idées reçues, L’amour des hommes est le reflet d’un monde en pleine mutation dont les bouleversements résonnent en écho avec notre actualité, la femme prenant la parole pour occuper la place qui lui est due. Le personnage de la jeune photographe inverse le processus d’une femme-objet représentée habituellement dans les images et il faut louer le travail du réalisateur pour avoir su faire éclater une vision devenue hélas lieu commun.

Hafsia Herzi dans L’amour des hommes (2018)

Les acteurs sont tous excellents parmi lesquels Raouf Ben Amor (vu dans Or noir de Jean-Jacques Annaud) qui s’impose à l’écran dans le rôle du beau-père d’Amel. Souhaitons que le film trouve la place qu’il mérite dans le ras de marée des sorties où l’on ne sait plus que voir à force de matraquages.

Si l’on aurait souhaité davantage d’épaisseur dans l’histoire d’amour entre Amel et Sami, notamment dans la dernière partie du film, la justesse de l’œuvre, lumineuse, offre néanmoins au spectateur une bouffée d’air pur et d’intelligence salutaire de par les temps qui courent.



Au cinéma à partir du 28 février 2018